
Une vie ça se construit sur base de choix, de rebondissements. Parfois, notre passion s’impose à nous alors qu’on avait emprunté un tout autre chemin. C’est ainsi que Freddy Vander Donckt a emprunté celui de l’agriculture, et pas n’importe laquelle ! Portrait de l’un des pionniers du BIO belge et de sa ferme : la Ferme Dôrloû à Wodecq (Hainaut).
Travaillant dans une banque bruxelloise, Freddy se sent à l’étroit dans son bureau. Il aspire à une vie plus proche de la nature. Et comme le hasard fait bien les choses, par le biais d’une connaissance familiale, il obtient une place d’ouvrier agricole dans une ferme de Wodecq où on manque de bras en attendant que les enfants soient assez grands pour venir prêter main forte. Après 1,5 ans, une opportunité s’offre de reprendre l’exploitation voisine, la ferme Dôrloû, en 1977. C’est avec l’aide de son frère et sa sœur que Freddy s’investit dans cette ferme en ruine, réhabilite les bâtiments et y construit des étables.
Les premiers pas en tant qu'éleveur
A ses débuts, Freddy a peu d’expérience en tant qu’éleveur à part entière. Heureusement, il bénéficie de l’expertise de ses anciens employeurs, avec qui il entretient (et toujours actuellement) des liens chaleureux. L’entraide est de mise ! Il continue de donner par-ci par-là des coups de main à la ferme et en échange profite de leurs équipements en attendant d’investir. On devine déjà ici la nature de Freddy de favoriser le partenariat : on a toujours quelque chose à s’apporter les uns les autres !
Ainsi, il se lance dans ses premiers élevages : des poulets de chair et porcelets à engraisser, qui assurent un bon retour sur investissement sur un court laps de temps. Puis viendront maraichage, vaches laitières (une pour commencer, puis 13 au moment de l’apparition des quotas laitiers en 1983) et enfin les poules pondeuses milieu des années 80. C’est la coopérative Agrisain (devenue maintenant Coprosain), dont il est membre depuis le début, qui lui achète toute sa production. La coopérative lui permet également de côtoyer d’autres agriculteurs et d’échanger sur les pratiques. Malgré l’absence du BIO dans les discussions, la coopérative tend à une amélioration constante vers une agriculture durable (elle a d’ailleurs depuis développé Coprobio en 1998). C’est ce qui donnera envie à Freddy de continuer d’aller plus loin et l’amènera à s’intéresser à la BIO fin des années 80.

Les premiers pas en BIO
A l’époque, pas facile de trouver des informations sur ce mode de culture « alternatif ». Beaucoup d’agriculteurs font des efforts en termes d’utilisation d’intrants et de pesticides. Mais peu veulent vraiment aller vers la BIO pure et dure. Avec deux autres agriculteurs convaincus de sa région, Freddy fait régulièrement la route jusqu’en Ardenne, pour rencontrer des producteurs ayant fait ce choix. Au départ, les conversations tournent surtout autour des coopératives laitières. Petit à petit, ils entendent parler de nouvelles techniques et de ce fameux M. Sencier, vulgarisateur hors pair et homme fédérateur autour de l’agriculture biologique. C’est lui qui les orientera dans leurs premiers pas en BIO.
En 1987, Freddy adopte le cahier des charges Nature & Progrès France dans la conduite de sa ferme. D’abord pour les légumes, puis la conversion complète se fera en 1990. Il sera alors prêt à être labellisé lorsque la BIO européenne sera légiférée en 1992.
Jusqu’au début des années 2000, il continue d’alimenter la coopérative Agrisain. Pour des raisons pratiques, il fera par la suite le choix de stopper sa collaboration, tout en entretenant toujours de bonnes relations avec ses anciens coopérateurs. C’est alors le moment de développer encore plus la vente directe ! Le magasin à la ferme existe déjà, mais celui-ci prendra un réel tournant commercial avec l’installation d’une boulangerie et d’une boucherie à la ferme fin des années 90.
Le développement d’une expertise
L’histoire de la ferme Dôrloû lui a permis d’être actuellement hyper diversifiée. Par l’essai de plusieurs filières et leurs développements successifs, Freddy maîtrise depuis des années le poly-élevage et la polyculture. On produit aussi bien pour l’alimentation animale (fourrage céréalier) qu’humaine (légumes, céréales panifiables). Actuellement, l’élevage concerne 24 vaches laitières, une dizaine de vaches allaitantes (blondes d’Aquitaine), un taureau de race limousine, 30 à 40 porcs, une quinzaine de brebis, des poulets d’engraissement, 250 poules pondeuses, mais aussi des pintades et des canards. Ce sont donc pas moins de 9 types d’élevages qui se côtoient à la ferme Dôrloû ! On ne voit pas ça tous les jours…
Quant aux terres agricoles, elles sont composées, sur 40 ha, de grosso-modo 1/3 de prairies temporaires, 1/3 de prairies permanentes et 1/3 de céréales, dont 10 à 15% panifiables, le reste étant des mélanges fourragers (triticale, avoine, pois + vesce + féverole). On retrouve également du maraichage sur petite surface : 50 ares de pomme de terre et 30 ares de légumes.

Par cette volonté de constante évolution, les filières se développent au sein même de la ferme. Fin des années nonante, la ferme Dôrloû accueille un boulanger indépendant : Frederic Backx, qui travaillera avec les farines de céréales produites à la ferme (froment et épeautre). Les farines sont faites à façon au moulin de Moulbaix (près de Ath), un moulin à vent restauré en 1942 et alimenté par des moteurs électriques d’appoint. A cette même époque, l’ancien abattoir à volaille de la ferme, ne correspondant plus à l’exigences des normes, est transformé en atelier de découpe de la viande pour alimenter la boucherie. Ainsi, le magasin à la ferme propose en vente directe les produits transformés sur place, soit l’intégralité de la viande issue de la ferme et près de 40% de la production de la boulangerie Backx.
Continuer d’innover
Aller toujours plus loin dans la maîtrise de ses filières pousse les Vander Donckt à continuer de se diversifier. Ainsi, Chantal, la femme de Freddy se forme en tant que restauratrice-traiteur. En 2006, ils ouvrent un restaurant à la ferme le week-end, et ils alimentent aujourd’hui la cantine de l’école du village. Au-delà d’ajouter une corde à son arc, il s’agit bien de s’encrer dans son terroir en faisant partie intégrante de la vie agricole, économique et social de sa région.
Dôrloû, c’est aussi une ferme pédagogique où les enfants peuvent venir découvrir le métier d’agriculteur, le mode de vie des animaux, la transformation du lait et des farines, et plus particulièrement l’agriculture biologique. Gîte, camping, accueil de stagiaires… C’est un lieu de rencontre et d’apprentissage. Quand on est si bien dans son métier, pourquoi ne pas partager sa passion et ses connaissances ? Et encore mieux, en créant de l’emploi ? L’humain au cœur de la ferme, voilà des valeurs qui nous plaisent chez Nature & Progrès !
Freddy, toujours prêt à ouvrir les portes de sa ferme pour faire connaître ses pratiques. A gauche, lors d'une rencontre "Wallonie sans pesticides" en 2018, sur les alternatives aux pesticides en prairie. A droite, lors de la visite SPG de 2019.
Depuis 3 ans, la ferme Dôrloû développe également un partenariat via la coopérative « Epi bio d’ici ». Producteurs céréaliers et maraîchers s’organisent autour d’objectifs communs, toujours dans l’optique d’être maître de sa production jusqu’à la vente, en passant par la transformation. Il s’agit pour les 3 céréaliers de faire l’acquisition du matériel nécessaire à une filière céréalière locale du grain jusqu’à la farine. Pour l’instant, le nettoyeur-trieur mis en commun leur permet de fournir au moulin de Moulbaix des grains déjà propres. Ils espèrent petit à petit avoir le matériel utile à chaque étape de la transformation, jusqu’à la perspective ultime : installer un moulin ! Pour les 3 maraichers participant au projet, l’objectif est de créer une conserverie afin de fournir un nouveau débouché à la production de légumes, sous forme transformée.
Aujourd’hui en fin de carrière (mais toujours à 100% actifs sur la ferme !) Freddy et Chantal sont sur le point de remettre la ferme, dans la continuité des valeurs prônées. Leurs conditions : continuer l’activité agricole et surtout, la continuer en BIO !
https://www.fermedorlou.be
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